L'attachement
Le souvenir de ce jeu
origamie de l'enfance
une salière en papier .
Entre l'index et le pouce de chaque main
" Choisis un nombre " !
et les doigts ouvraient et fermaient la salière autant de fois qu'il le fallait
" Choisis une couleur : rouge, bleu, vert ou noir " !
et l'on dépliait la salière à l'emplacement que le hasard désignait
" Tu es gentil ... Tu es la plus belle ... "
Là, dans cette image des quatre rochers encastrés, le jeu est figé, cristallisé, il est "granite" , il est fermé et depuis si longtemps, que la mousse le recouvre .
Cet objet "jeu-papier-pierre-mousse" devient le point de départ du surgissement d'un souvenir, d'une nostalgie, d'une forme-pensée , d'un sentiment .
Comme un millefeuilles ouvert à tous les vents, un moment de vie émerge. Trois petits tours et puis s'en vont ... Il y a de l'émotion ... Mais pourquoi, en quoi et comment cette émotion devient un sentiment ?
Le sentiment, c'est bien plus qu'une réaction physiologique saupoudrée d'un zeste de culture mémorisée . C'est une fonction complexe fondée en premier lieu sur une sensation puis un ressenti qui vient du profond de soi, une posture, une manière de se percevoir dans une situation donnée . Mais ici, à propos de ce jeu, à l'occasion de ce " jeu-image-souvenir-papier-enfance-pierre moussue ", de quoi s'agit-il ?
Par le contact entre l'être humain que nous sommes et l'environnement, ce n'est pas le sentiment qui nous met en relation avec ce qui n'est pas nous, avec quelque chose d'extérieur à nous. Ce serait plutôt la perception, la sensation, l'intuition qui seraient à l'oeuvre . Le sentiment est l'émergence aboutie provisoirement d'un fait culturel que nous avons fait notre plus ou moins consciemment et dont objet déclencheur ne saurait être l'unique cause . L'objet n'est que l'occasion de s'apparaître .
Nous attachons, la plupart du temps, nos sentiments au monde environnemental, aux mondanités, en imaginant que les évènements qui s'y produisent - par exemple l'utilisation de notre jeu ici présent - sont à l'origine d'états de conscience qui nous traversent. Je me forge l'espoir illusoire qu'il me suffit de contrôler mon environnement, l'objet de mon désir, pour être le maître de mes états de conscience. Je veux être en situation de prescience, de pouvoir sur le monde, d'être le dieu de mes émotions. Mais ce n'est qu'illusion ! Notre intention n'est qu'un tout petit élément de la source du sentiment qui nous traverse et sur lequel nous n'avons pas plus d'influence que sur le temps qu'il fait.
Vouloir manipuler ses propres sentiments pour éviter le manque, l'incertitude, la peur, et être le démiurge de ses propres états, c'est refuser le surgissement spontané de la vie à travers soi. C'est une grande source de la souffrance !
Le paradoxe de l'attachement est cruel. Nos sentiments, c'est nous, au profond de notre intime et pourtant nous les vivons comme s'ils nous jetaient hors de nous-même en nous focalisant sur tel ou tel objet du monde . Alors " nous ne nous sentons plus ", nous ne sommes plus conscients de nous-même .
Par exemple, l'on croit aimer cette femme , - " mon amour pour cette femme me dit , me fait comprendre, me rend clair l'être qu'elle est" - , vision romantique de l'objet qui nous éloigne de la cause du sentiment formé de beaucoup de nos projections .
Un certaine voie du détachement serait d'apprendre à dissocier nos sentiments de leur objet et à les vivre pour eux-mêmes . Il s'agirait " de revenir à soi " .
Vivre et gérer vraiment ses sentiments est un chemin obligé préludant à la connaissance de soi .
Et si dans les cases secrètes de la salière du jeu " papier-nombres-couleurs-hasard-pierre moussue - je te dirai qui tu es " il y avait sous les quatre couleurs, quatre précieuses pépites à recueillir vers une approche sensible de soi qui seraient la perception, le ressenti, l'émotion et le sentiment, étapes nécessaires à la connaissance et au savoir quoi faire de cette connaissance .
... Afin de ne pas sombrer dans l'attachement ! Pieds et poings liés à nos croyances protectrices, à nos peurs .
... Afin de vivre librement en instance d'Être , notre monde Vrai .
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